SEYBANI SOUGOU ADRESSE UNE LETTRE A L’ASSOCIATION DES COURS CONSTITUTIONNELLES FRANCOPHONES
A l’attention de Madame Caroline PETILLON, Secrétaire Générale de l’Association des Cours Constitutionnelles Francophones
Objet : La crédibilité du Conseil Constitutionnel du Sénégal mise en cause depuis 2016
Madame la Secrétaire Générale,
Le Conseil constitutionnel du Sénégal
est membre de l’Association des cours constitutionnelles francophones
(ACCF), ayant en partage l’usage du français, qui rassemble 48 Cours
constitutionnelles et institutions équivalentes d’Afrique, d’Europe,
d’Amérique et d’Asie, dont le but est de promouvoir l’État de Droit et
de favoriser son approfondissement. Par la présente, je tenais à vous
informer du niveau de défiance extrêmement élevé vis à vis du Conseil
Constitutionnel du Sénégal, qui traduit une rupture de confiance entre
les citoyens sénégalais et l’institution judiciaire.
Depuis 2016, le
Conseil Constitutionnel du Sénégal fait l’objet de vives contestations
émanant de divers segments de la société sénégalaise : partis
politiques, société civile, citoyens épris de justice,
Constitutionnalistes, et professionnels de droit. Le 26 février 2016,
pour la première fois dans l’histoire politique du Sénégal, 45
Professeurs de Droit ont signé une tribune pour dénoncer le subterfuge
juridique lié au détournement de la portée d’un avis du Conseil
constitutionnel, requalifié « Décision » par le Président de la
République pour écarter la réduction du premier mandat présidentiel, une
requalification qui a permis au Président, d’invoquer l’article 92 de
la Constitution aux termes duquel « les décisions du Conseil
constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Les 45
Professeurs de droit ont relevé de nombreuses violations de la loi
fondamentale, dans les termes de la Décision N°1//C/2016 du Conseil
Constitutionnel. Ils ont souligné, je cite « l’incapacité du Conseil à
fonder son argumentaire sur la substance des dispositions de la
Constitution ». Plus grave, les 45 Experts ont estimé que « l’avis du
Conseil constitutionnel était en rupture totale avec les enseignements
universitaires et participait d’une dépréciation de l’enseignement de la
science juridique dont l’institution universitaire, à travers les
Facultés de droit, se trouve investie ».
Saisi par le Président de la
République le 24 juillet 2017 sur la possibilité « d’autoriser les
électeurs de pouvoir voter le 30 juillet 2017 avec d’autres pièces que
celles prévues par la loi, sans que la loi en vigueur soit modifiée »,
le Conseil Constitutionnel, dans sa Décision N° 8/2017 du 26 juillet
2017 a fait preuve d’une incroyable audace en se substituant au
législateur. Alors que les articles L53 et L78 du Code électoral
prescrivent « que seule la carte d’identité biométrique CEDEAO
(Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) tient lieu de
carte d’électeur », le Conseil Constitutionnel a autorisé à titre
exceptionnel, pour les élections législatives du 30 juillet 2017, à
l’électeur de pouvoir voter avec d’autres documents administratifs que
ceux prescrits par la loi. Cette décision du Conseil Constitutionnel a
fait l’objet d’une fausse interprétation et d’un détournement par le
pouvoir exécutif qui a précisé qu’elle était d’application immédiate
sans qu’il y ait besoin de modifier la loi électorale. Or, en vertu de
l’article 59 de la Constitution sénégalaise, seule l’Assemblée nationale
est habilitée à exercer le pouvoir législatif, et voter la loi.
Le
19 avril 2018, la loi révisant le code électoral, instituant le
parrainage intégral aux élections présidentielles de 2019 a été votée
dans un climat de forte contestation au Sénégal. A l’époque, de nombreux
professionnels de droit avaient soutenu que : « La loi instituant le
parrainage intégral était inconstitutionnelle, car elle révisait le mode
d’élection du Président de la République, modifiait les conditions de
recevabilité des déclarations de candidatures, et d’éligibilité des
candidats à l’élection présidentielle, et violait de façon flagrante,
les dispositions de l’article 103 alinéa 7 de la Constitution en vertu
duquel le mode d’élection du Président de la République ne peut faire
l’objet de révision ». En effet, le caractère intangible du mode
d’élection du Président de la République a été introduit par la loi
constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 issue du referendum du 20
mars 2016. Selon les termes de son exposé des motifs, la loi vise,
entre autres, à instaurer « l’intangibilité́ des dispositions relatives
au mode d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutifs du
Président de la République. ». Les termes de l’article 103 alinéa 7
(nouveau) de la Constitution du 22 janvier 2001, précisent que « La
forme républicaine de l’État, le mode d’élection, la durée et le nombre
de mandats consécutifs du Président de la République ne peuvent faire
l’objet de révision.». L’alinéa 8 du même article précisant que «
L’alinéa 7 du présent article ne peut être l’objet de révision ».
Malgré tout, et en méconnaissance du
régime de révision de la Constitution, le projet de loi
constitutionnelle sur le parrainage intégral a été proposé au vote de
l’Assemblée nationale. Dans sa décision N°1/C/2018, le Conseil
constitutionnel du Sénégal, a souligné qu’il n’a pas compétence pour «
statuer sur la demande par laquelle les députés requérants lui défèrent,
aux fins d’appréciation de sa conformité à la Constitution, la loi
n°14/2018 portant révision de la Constitution, adoptée par l’Assemblée
nationale le 19 avril 2018… ». Cette incompétence déclarée a ensuite
conduit le Conseil Constitutionnel à invalider, dans le cadre du
contrôle des parrainages, 19 candidatures aux présidentielles du 24
Février 2019, alors qu’il ne disposait ni des moyens humains suffisants,
ni des capacités techniques pour authentifier la validité des
signatures de parrains. Aux termes de l’article 29 alinéa 5 (nouveau) de
la Constitution sénégalaise révisée : « Pour être recevable, toute
candidature doit être accompagnée de la signature d’électeurs
représentants au minimum 0,8% et au maximum 1% du fichier électoral
général », la « signature » étant la valeur substantielle dans la
procédure de parrainage. Or, le Conseil constitutionnel a rendu la
décision n°2/E/2019 du 13 janvier 2019 portant publication de la liste
provisoire des candidats retenus, en précisant dans son considérant n°10
avoir « examiné les listes sur support papier revêtues de la signature
des parrains ».
Le constat est flagrant : il est impossible que le
contrôle de plus d’un million quatre cent mille signatures ait pu être
accompli en moins d’un mois. En outre, ce contrôle aurait-il eu lieu,
qu’il aurait dû être accompli en présence des mandataires des candidats
en conformité avec les dispositions de l’article 5 de la décision
n°1/C/2018 du 23 novembre 2018 du Conseil Constitutionnel précisant les
modalités de contrôle des signatures de parrainage des candidats. Cela
n’a pas été le cas. La décision n°2/E/2019 du 13 janvier 2019 du Conseil
Constitutionnel viole ainsi les dispositions de l’article 5 de sa
propre décision n°1/C/2018 du 23 novembre 2018. Pour procéder au
contrôle des signatures de parrainage, pourtant définies par la
Constitution sénégalaise comme « signatures d’électeurs », le Conseil
constitutionnel s’est ainsi limité à l’examen de fichiers électroniques
élaborés par les candidats eux-mêmes selon un format défini par voie
réglementaire, excluant la saisie des signatures et donc leur contrôle. A
titre d’exemple, les parrains ont été considérés comme des électeurs
inexistants par le Conseil Constitutionnel dès lors qu’une faute
matérielle (de saisie) sur le prénom ou le nom de l’électeur était
identifiée bien que la fiche papier de collecte des signatures fut
correctement renseignée.
Dans sa décision N°3-E-2019 (considérant
n°48), le Conseil Constitutionnel a éliminé la candidature de l’ancien
Maire de Dakar, Khalifa Sall, condamné à 5 ans d’emprisonnement, au
motif que « l’article L.31 du Code électoral constitue, en matière
électorale, une dérogation au principe selon lequel ce sont les
tribunaux, statuant en matière pénale, qui prononcent l’interdiction des
droits civils et politiques en ce qu’il prévoit qu’un citoyen, puni
d’une peine d’emprisonnement sans sursis pour une infraction passible
d’un emprisonnement d’une durée supérieure à cinq ans, est privé du
droit de s’inscrire sur les listes électorales et, en conséquence, de la
qualité d’électeur ; que la décision de condamnation comporte, par
elle-même, la privation du droit de vote et la perte de la qualité
d’électeur ». Or, cette disposition est anticonstitutionnelle, car elle
est contraire à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et
au principe d’individualisation des peines. En effet, saisi le 7 mai
2010 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de
constitutionnalité (QPC – article 61-1 de la Constitution française), le
Conseil constitutionnel de la France, a déclaré inconstitutionnel, par
une décision du 11 juin 2010, l’article L.7 du code électoral. L’article
L.7 du code électoral frappait d’inéligibilité les condamnés dans des
affaires de manquement au devoir de probité, qu’il s’agisse de
concussion d’abus de biens, de corruption active ou de trafic
d’influence, d’abus d’autorité, d’atteinte arbitraire à la liberté ou
encore de pratiques discriminatoires. Le Conseil constitutionnel
français a jugé ces dispositions contraires à la Constitution,
s’appuyant sur l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme, aux
termes duquel : « La loi ne doit établir que des peines strictement et
évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi
établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée
». Le Conseil constitutionnel de la France a précisé que cette peine
privative de l’exercice du droit de suffrage est attachée de fait, de
plein droit, à diverses condamnations pénales sans que le juge qui
décide de ces mesures ait à la prononcer expressément, et remis en cause
le principe de l’automaticité de la radiation des listes électorales en
ces termes « cette peine accessoire, à la fois automatique et
insusceptible d’être individualisée, méconnaît le principe
d’individualisation des peines ». Le Conseil Constitutionnel français,
fidèle à sa tradition d’œuvrer pour la consolidation de l’État de Droit
et la préservation des libertés individuelles et collectives a tiré les
conséquences de l’inconstitutionnalité de l’article L7 avec l’abrogation
de l’article L. 7 du code électoral, permettant aux intéressés de
demander, à compter du 11 juin 2010, leur réintégration immédiate sur
les listes électorales. Il est établi que l’article L.31 du Code
électoral du Sénégal est inconstitutionnel car Le PREAMBULE de la
Constitution sénégalaise précise que « Le Peuple du Sénégal souverain
AFFIRME » :
• Son adhésion à la Déclaration des Droits de l’Homme et
du Citoyen de 1789 et aux instruments internationaux adoptés par
l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité africaine,
notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10
décembre 1948.
Ces exemples de décisions prises entre 2016 et 2019
sont donnés pour souligner le manque d’indépendance du Conseil
Constitutionnel du Sénégal, et l’emprise du pouvoir exécutif vis-à-vis
dudit Conseil.
Depuis début septembre 2019, la
contestation du Conseil Constitutionnel porte sur la légalité des actes
du Président du Conseil Constitutionnel à compter du 12 aout 2016. En
effet, Il a été constaté et vérifié que le décret N°2016-1222 n’a fait
l’objet d’aucune publicité. Or, la publication dudit décret est une
obligation légale aux termes de l’article 5 de la loi sénégalaise n°
70-14 du 6 février 1970 modifiée par la loi n° 71-07 du 21 janvier 1971
fixant les règles d’applicabilité des lois, des actes administratifs à
caractère réglementaires et des actes administratifs à caractère
individuel qui précise que « les actes administratifs à caractère
individuel ne sont opposables aux tiers que du jour où ceux-ci en ont
officiellement connaissance ». Cette publicité est nécessaire pour les
délais de recours et d’opposabilité. A défaut, tous les actes du
Président du Conseil Constitutionnel à compter du 12 aout 2016 sont
entachés d’illégalité. La publicité liée à la nomination du Président du
Conseil Constitutionnel est d’autant plus fondamentale que l’article 25
de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil
Constitutionnel, précise en son article 25 que les « décisions du
Conseil Constitutionnel sont publiées au journal officiel ».
Un
ancien Premier Ministre, M. Abdoul Mbaye a saisi par lettre officielle,
d’une part le Président du Conseil Constitutionnel et d’autre part, le
Secrétaire Général du Gouvernement afin que la preuve de la publication
au journal officiel du décret N°2016-1222 du 12 août 2016 soit établie.
L’ancien Premier Ministre a précisé qu’en raison de son statut, et de
son rang dans l’architecture juridique de notre pays, la légalité des
actes du Président du Conseil Constitutionnel à compter du 12 aout 2016,
ne devait souffrir d’aucune contestation.
Madame la Secrétaire
Générale, la vocation première de l’Association des Cours
Constitutionnelles francophones est de favoriser l’approfondissement de
l’Etat de Droit. Or, les principes de sécurité et de stabilité juridique
ne sont plus garantis au Sénégal, en raison des nombreux écarts du
Conseil Constitutionnel depuis 2016. Or, sans respect de la
Constitution, il n’y a ni justice constitutionnelle, ni démocratie.
Madame
la Secrétaire Générale, depuis 2016, le fonctionnement du Conseil
Constitutionnel du Sénégal n’est plus conforme aux idéaux de
l’Association des cours constitutionnelles francophones.
Madame la
Secrétaire Générale, au vu des manquements graves relevés, toutes les
actions que l’ACCF pourrait entreprendre, visant à préserver et à
consolider l’état de Droit au Sénégal susciteraient l’adhésion des
citoyens épris de paix, de justice, de liberté et de démocratie.
Vous
remerciant par avance de l’intérêt porté à ma démarche, et des suites
que vous pourrez lui apporter, je vous prie d’agréer, Madame la
Secrétaire Générale, l’assurance de mes salutations distinguées.
Liste des annexes :
Annexe 1 : Décision N°1//C/2016 du Conseil Constitutionnel du 12 février 2016
Annexe
2 : Manifeste de 45 professeurs de Droit et de Sciences Politiques
contre la « Décision N°1//C/2016 » du Conseil constitutionnel et
l’interprétation qui en est faite par le Président de la République du
Sénégal, M.Macky Sall
Annexe 3 : Décision N° 8/2017 du Conseil Constitutionnel du 26 juillet 2017
Annexe
4 : Élections législatives du 30 juillet 2017 et vote sur présentation
des documents autres que les cartes d’électeurs biométriques CEDEAO :
pour l’adoption d’une loi de ratification. Professeur Jacques Mariel
NZOUANKEU, Directeur de la Revue des Institutions Administratives et
politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Annexe 5 :
Lettres officielles de M. Abdoul M’Baye, Ancien Premier Ministre du
Sénégal, adressées respectivement à l’actuel Président du Conseil
Constitutionnel du Sénégal et au Secrétaire Général du Gouvernement
Annexe
6 : Plainte de M. Macky Sall en date du 01 février 2012, contre l’Etat
du Sénégal, pour violations des Droits de l’homme (à l’époque il était
dans l’opposition).