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ATHLÉTISME – AMADOU DIAW, ANCIEN DTN DU SÉNÉGAL « POURQUOI L’ATHLÉTISME SÉNÉGALAIS VA MAL »

L’athlétisme sénégalais va mal. Les derniers championnats d’Afrique de Marrakech d’où le Sénégal n’est revenu qu’avec une seule médaille d’argent n’ont fait que le confirmer. Les pires résultats de l’histoire du pays. Amadou Diaw, ancien Directeur technique national (DTN) de 2001 à 2009, fait un diagnostic du mal.

“Depuis mars, on a sommé les athlètes de ne plus s’entraîner à Léopold Senghor”

“Aujourd’hui, quand vous regardez les résultats du Bac et du Bfem, on vous dit que c’est catastrophique : c’est la même chose pour l’athlétisme qui appartient à ce corps social. Il souffre de cette maladie qui gangrène la société sénégalaise. Maintenant, par rapport à notre spécificité, nous avons connu une année difficile. Je ne dis pas que c’est cela qui explique les résultats que nous avons eu à Marrakech, mais nous avons eu une année difficile avec un manque d’infrastructures dans la région la plus importante qui est Dakar. Depuis mars dernier, on a sommé les athlètes de ne plus s’entraîner au stade Léopold Sédar Senghor et cela n’inquiète personne. On a l’impression que dans ce pays, on ne construit des infrastructures que pour le football. Pour un pays sous-développé qui n’a pas de moyens, les infrastructures doivent être multi-fonctionnelles, utilisées par beaucoup de disciplines. Nous n’avons pas les moyens de construire des infrastructures spécialisées, même si par ailleurs la Fifa a tendance à vouloir dire qu’il ne doit plus y avoir de piste d’athlétisme dans ses terrains de football, c’est quelque chose qu’on ne peut pas accepter en Afrique. Non seulement elle exclut les athlètes du stade, mais ne les appuie pas. Après il y a des résultats catastrophiques et l’on se précipite à dire que l’athlétisme sénégalais est au bas niveau.

“L’université un ghetto de 80 000 étudiants, sans espace d’épanouissement sportif”

Le bas niveau, c’est tout un processus de dégradation qui s’installe. Peut-être qu’il s’est installé quand j’étais Directeur technique, mais on n’y a pas fait attention parce qu’on glanait quelques résultats. La dégradation c’est comme la naissance. C’est possible de redresser l’athlétisme sénégalais, mais cela ne se fera pas en restant sur la touche et en critiquant. Les vieux qui critiquent les jeunes n’ont qu’à descendre sur le terrain, appuyer les jeunes et partager leurs expériences avec eux. C’est comme ça qu’on peut avancer. La critique ingrate qui se fait dans la rue ne m’intéresse pas. Il faut venir directement voir les dirigeants pour échanger pour qu’on trouve des solutions à la situation qui n’est pas si critique que cela. Regardez ce que l’on a au niveau de la relance des cadets et des juniors. Vous regardez la Côte d’Ivoire qui a connu une guerre civile. Pendant longtemps, tout était bloqué. Mais en moins de 3 ans, ils se sont remis au travail, ils ont une championne qui appuie la fédération dans les structures de développement pour les enfants et cela commence à donner une forme et une revitalisation de l’athlétisme ivoirien. En revanche au Sénégal où depuis bientôt 15 ans, la base de pratique du sport en général est ignorée. C’est-à-dire que l’Etat a une fédération des sports scolaires et universitaires mais ce sport là à l’université comme à l’école n’existe plus. Qu’est-ce qu’on a fait pour que le sport revienne à l’école. Sans cela, ce sera extrêmement difficile. On sera obligé de chercher des athlètes binationaux. Et dans ce cas, les Champions d’Afrique vont se transformer bientôt en expatriés qui, ne pouvant pas intégrer les équipes de France, Belgique ou Allemagne, viennent représenter le pays d’origine de leur père. Dans ce cas, mieux vaut encadrer les enfants du pays et voir comment on peut bâtir pour avoir les conditions de performances. Quand vous allez à l’université vous avez le cœur gros : le terrain est bazardé, un pavillon est en train d’y être construit, la piste va disparaître. L’université est un ghetto avec 80 000 personnes et aucun lieu d’épanouissement sportif. Cela pose problème. Il faut mettre des infrastructures dignes, avec une excellente pelouse. C’est à l’école qu’on peut détecter les futurs talents. Sur les 80 000 étudiants, il y a peut être 2000 qui sont intéressés par l’athlétisme. Mais comment les détecter sans infrastructures, ni personnels qualifiés ?

“Mutualiser les expériences”

Les conditions de performances, c’est aussi l’entourage comme les parents, les entraîneurs, l’Etat, les infrastructures, les médecins. Si on a tout cela, on peut relancer notre athlétisme. Peut-être aussi que le déclic viendra de la jeune génération d’encadreurs qui est prête à mouiller le maillot. Il ne faut pas se dire que cette jeune génération ne peut rien faire, notre rôle c’est de l’aider et non la rejeter. Pour s’en sortir, il faudra, au-delà des athlètes, que les entraîneurs se parlent. On peut mutualiser les expériences et les connaissances pour pouvoir travailler sur une relève. Cela passera par un collectif d’entraîneurs pour encadrer l’équipe pendant 15 mois. Parce qu’il y a 15 mois cruciaux devant nous et si on ne maîtrise pas ce temps, on aura beau mettre un Directeur technique, on n’avancera pas. Il y a 5 ou 6 échéances d’ici à 2016 et 15 mois nous séparent de 2016(JOdeRio). Il y a la Francophonie, le Cinquantenaire des Jeux africains, les Championnats d’Afrique de 2016, ceux des juniors et cadets à Maurice”.

“Un plan de développement de l’athlétisme (Pda)”

L’athlétisme est une discipline où on ne peut pas venir en1 an et 2 ans pour performer. Le minimum, c’est 10 ans pour être dans le haut niveau. 10 ans pendant lesquels l’athlète a besoin de calme, de stabilité sur le plan financier et familial. Ce que réussit la France aujourd’hui, on peut le faire. Il faut juste tabler sur le long terme et théoriquement je pense qu’on a réglé ces problèmes de planification sur le long terme. Il y a un plan de développement de l’athlétisme (Pda) mis en place par la fédération. Il y une coopération anglaise qui se met en place pour 3 ans et qui va accompagner la fédé. Nous avons un bon package de programme qui peut nous permettre donc d’aller sur 15 mois. L’important, c’est d’avoir des gens compétents, humbles qui participent. Il ne faut pas se diviser en deux camps : le camp des anciens ici, celui des jeunes encadreurs là-bas. On a qu’à tous travailler ensemble, un jeune peut être Directeur technique, tout autant qu’un vieux. Regardez la France par exemple, leur Directeur technique vient de la lutte ; si c’était au Sénégal, on aurait crié au scandale. C’est un problème de conception, de management des hommes et des activités. Si je suis capable de concevoir des programmes de plans de développement, pourquoi pas ?

“Nous semblons prêcher dans le désert”

L’argent est important, mais il n’est pas déterminant pour être champion. Parfois, on voit des pays qui ont tous les moyens et ne gagnent rien tandis que d’autres qui n’ont pas de moyens remportent des médailles. Cette situation est douloureuse pour nous qui aimons le sport en général et l’athlétisme en particulier. Nous semblons prêcher dans le désert, pas écouté ni soutenu par les autorités. Et nous avons renvoyé notre meeting à cause du football. Ce n’est pas juste, il n’y a pas de solidarité entre les disciplines. L’Etat, son devoir, c’est d’être équitable, juste et à équidistance par rapport aux citoyens, de l’ensemble de ses structures qui gèrent le sport. Quand on gagne une compétition internationale, qui en gagne le plus de gloire ? C’est l’Etat, c’est l’hymne national qu’on entend. Tous ceux qui crient au scandale ne s’interrogent pas sur comment on est allé là-bas, dans quelles conditions ? Comment s’entraînent nos athlètes et comment sont-ils sélectionnés ? Réaliser des minima pour aller en Championnats d’Afrique, c’est nécessaire mais insuffisant. Il faut corser les minima. Quand on demande 7 mètres à la longueur, nous devons exiger 8 m aux athlètes.

“Il y a des opportunités sur les instances internationales”

Quand j’étais Directeur technique, on avait une politique avec le CIAD (Centre international d’athlétisme de Dakar). Il ne faut pas dire que nos relations avec cette structure se sont dégradées : les entraîneurs du CIAD sont des entraîneurs africains qui sont là pour l’athlétisme continental. S’il y a des Sénégalais qui sont bons et qui veulent travailler avec ces entraîneurs là, ces derniers doivent les encadrer parce que le centre est implanté au Sénégal. Il y a des opportunités sur les instances internationales qui sont installées au Sénégal et on doit pouvoir s’appuyer sur cela pour développer notre athlétisme. Depuis 15 ans, Lamine Diack est président de l’Iaaf, quelles vont être les retombées ? Il va se retirer l’année prochaine, qu’est-ce que cela va donner dans 2 ans, 3 ans. Il faut que l’Etat comprenne que l’athlétisme est une discipline très exigeante. Un cycle est clos, il faut en ouvrir un nouveau. Le nouveau cycle pour moi ne s’ouvre pas aujourd’hui, mais on va gérer une transition qui va durer 15 mois. C’est mon point de vue pour éviter des couacs d’ego entre les individus”.

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