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DE SAINT-LOUIS À BARÇA, DANS L’ANTRE DES PASSEURS

Les réseaux de passeurs prolifèrent au Sénégal. Ces filières d’immigration, qui consistent à faire entrer illégalement dans un Etat un ressortissant tiers moyennant un profit pécuniaire ou matériel, existent a bel et bien au pays de la Téranga, même si, d’après une enquête réalisée à Saint-Louis, avec l’appui de l’Unesco dans le cadre de projet : « Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication », financé par l’agence italienne pour la Coopération au développement ( AICS), depuis quelques temps, la tendance est baissière.

Appelons le Lamine. Son métier : passeur. Croisé au quartier Guêt-Ndar, il trace régulièrement le trajet Saint Louis – Iles Canaries. Un chemin qu’il maitrise depuis son premier voyage où il était le capitaine de la pirogue convoyée. La réponse qu’il nous a fournie sur le business des passeurs montre le rôle non négligeable que jouent ses collègues dans l’instruction de migrants clandestins dans les pays européens. Les réseaux de passeurs, même s’ils ont changé de stratégie, continuent à participer à environ 80 % sur les départs des jeunes migrants irréguliers.


DE CANDIDAT À L’ÉMIGRATION À PASSEUR

À Guêt-Ndar où nous sommes rendus, ces capitaines de pirogue, à l’origine de grands pêcheurs, ont souvent organisé ces genres de voyages. Leurs talents et leur connaissance du trajet sont toujours monnayés. « Ma première expérience date de septembre 2005. J’ai quitté Guêt-Ndar pour aller à Nouadhibou (Mauritanie). Le passeur avec qui on m’avait mis en rapport m’avait demandé la somme de 500 mille F CFA. Mais, puisque je suis môle (pêcheur), de surcroît un capitaine de pirogue, on a négocié et j’ai pu donner que 250 mille F CFA », raconte Lamine, rencontré dans le populeux quartier de Guêt Ndar. L’homme, la quarantaine, même s’il refuse de reconnaître qu’il est ’’passeur’’ a réussi à organiser au moins 3 voyages de candidats à l’immigration irrégulière depuis que sa propre expérience de migrant clandestin avait échoué, en 2005. Sa particularité est qu’il était toujours l’intermédiaire entre les candidats (à l’immigration) et les vrais propriétaires de pirogue. Il n’avait pas de pourcentage fixe. Mais à chacun de ces voyages, il s’est retrouvé avec minimum de 2 millions FCFA. Des sommes qu’il dit avoir investi dans son principal métier : la pêche.Un passeur-Photo d’illustration


SAINT-LOUIS, LE BASTION DES PASSEURS

Il y a plus d’une décennie, ce phénomène était très en vogue au Sénégal. Mais aujourd’hui, le genre de réseaux tend à disparaître. Mais, il existe toujours des poches de résistance bien traquées par les gardes côtes. L’embarcation de 29 candidats, arrêtée le 4 juillet 2020, aux larges des côtes Saint-Louisienne en est une parfaire illustration. Ces candidats à l’immigration irrégulière, en partance pour l’Espagne sont originaires de l’intérieur du pays notamment de Rufisque, Touba, Bambilor, Kébémer, Tivaouane et Mbour. Leur tentative de rejoindre l’Espagne a échoué et ils étaient placés en garde à vue au commissariat de Saint-Louis pour les besoins d’une enquête. Aux dernières nouvelles, ils ont tous été présentés à un juge.

La région de Saint Louis a toujours était une zone départ. Les candidats à l’aventure de cette zone sont une bonne partie issue de la communauté Lebou de Guêt-Ndar. Dans ce célèbre quartier de la région de Saint-Louis, d’importants réseaux passeurs ont été démantelés dans le passé. Le dernier grand réseau démantelé remonte en septembre 2018, d’après une source policière. Notre interlocuteur, agent gradé de la police, nous signale que depuis qu’il est en mission à Saint Louis, il n’a pas assisté à une opération de démantèlement du genre.

Habitant au quartier Diamaguene, L. N. a été ’’victime’’ de ces réseaux. Ce jeune, âgé d’une trentaine d’années, nous raconte sa mésaventure qui date de 2017. « J’avais pris langue avec un relais qui m’avait mis en contact avec le propriétaire d’une pirogue. J’avais 250 mille F CFA (environ 400 euros) alors que l’organisateur du voyage réclamait 400 mille F CFA. J’en avais parlé à ma mère qui m’a remis 100 mille F CFA. Par la suite, je me suis débrouillé pour trouver les 50 mille F CFA restants », narre L. N. Malheureusement pour lui, le voyage a mal tourné. Leur embarquement a été intercepté, par les gardes côtes espagnoles, après une vingtaine de jours en mer.


UN PIED DANS LE KAYAK, L’AUTRE DANS LA MER

Même s’ils se font rares, les réseaux de passeur résistent au temps. Depuis que les Etats ont pris conscience de la situation et ont décidé de renforcer la surveillance au niveau des côtes, les filières ont changé de stratégie. Leur nouveau modus operandi n’est plus la mer mais la voie terrestre. Les réseaux locaux sénégalais ont élargi leurs tentacules en Mauritanie. C’est au niveau de ce pays, frontalier avec le Sénégal, qu’ils organisent le voyage de jeunes migrants. « La nouvelle tendance est de donner rendez-vous en Mauritanie aux jeunes candidats qui nous contactent. Ce sont les gars qui sont sur place qui vont les guider jusqu’au niveau de la frontière entre la Mauritanie et le Maroc.

Mais, il faut le dire, pour entrer au royaume chérifien, qui est une zone de transit pour eux, il faut nécessairement prendre un vol à partir de la Mauritanie. La surveillance de cette frontière est très accrue. Mais, nous y parvenons avec la complicité de certaines gardes qui nous balisent le chemin. Mais là, les candidats qui disposent de maigres revenus sont laissés en rade », nous signale Jules. Ami avec M. G, Jules, qui est revenu d’Espagne depuis deux ans, refuse de se considérer comme un passeur. Il se voit comme un ’’facilitateur’’ entre lui et ses ’’collègues’’ qui se trouvent en Mauritanie. À la question de savoir, comment parvenir en Espagne à partir du Maroc, Jules explique : « C’est à partir du Maroc que les candidats prennent la mer. À Tanger (Ville situé au Nord du Maroc), on s’organise pour avoir un nombre suffisant et on achète un Kayak. Il peut contenir jusqu’à 400 kilogrammes, une dizaine de personnes environ. Durant le trajet, chacun met un pied à l’intérieur du Kayak et l’autre dans la mer. Avant ce trajet de mer, il faudrait passer dans la forêt avec l’aide des passeurs marocains ».

L’ENVIE DE TENTER ENCORE L’AVENTURE

En ce contexte de crise sanitaire, économique et sociale sans précédent, ces passeurs croisés à Guêt-Ndar ne voient qu’une seule chose : tenter à nouveau l’aventure. « J’ai été rapatrié d’Espagne alors que j’avais vécu presque trois années dans ce pays. Je suis pêcheur de profession, mais j’ai appris la maçonnerie en Espagne. Depuis mon rapatriement, faute de papiers, je ne parviens plus à subvenir correctement à mes besoins, alors que j’ai une famille à entretenir. La pêche ne marche pas comme on l’aurait souhaité », a indiqué M. G. Lui, qui a organisé des voyages d’immigration irrégulière, depuis son retour, en complicité avec les vrais propriétaires de pirogues, ne pense qu’à tenter à nouveau l’expérience. « Je suis capitaine de pirogue. Et, je maîtrise le trajet comme je connais les rues de Guêt-Ndar. Mais il faut le dire, les candidats à l’aventure se font désirer en ces temps qui courent », révèle-t-il.


LA PÊCHE, PRINCIPALE ACTIVÉ, FREINÉE

Même si la pêche reste le moteur de développement économique à Saint-Louis, force est de constater qu’il n’existe pas d’infrastructures adéquates pour accompagner ce secteur de l’économie. À titre illustratif, Saint-Louis ne dispose même pas marché de poissons. Les rares infrastructures de pêche qui existent dans la vieille ville date depuis longtemps. Beaucoup d’entre elles ne suivent pas le développement des populations. Elles sont menacées de ruine. « Nous avons une crise d’infrastructures. La pêche est très abondante à Guêt-Ndar et partout à Saint-Louis. Mais, nous n’avons même une usine de conservation. Les pêcheurs peuvent avoir beaucoup de poissons, mais faute de mareyeurs une bonne partie de leur pêche se retrouve à la poubelle », déplore le vieux Ndiaga Fall, notable au quartier Ndar-Toute. Pourtant, reconnaît le vieux Fall, cette activité, si elle était valorisée au profit des jeunes de Saint-Louis pourrait bien participer à les fixer sur le territoire.

Au niveau de la mairie, ce manque d’infrastructures est reconnu. Faute d’espace au niveau du quai de pêche, la municipalité de Saint-Louis a même des difficultés pour organiser le stationnement des camions frigorifiques qui viennent un peu partout pour s’approvisionner à Saint Louis. « Le problème de la pêche à Saint Louis, ce sont les infrastructures. Avec ces nouvelles licences, la pêche sera beaucoup plus productive. Au moment où je vous parle, 80% des camions frigorifiques du Sénégal sont à Saint-Louis », indique Latyr Fall, adjoint au maire, Chargé de l’Économie locale, qui reconnait que les réseaux de passeurs disparaissent de plus en plus dans la zone.


UNE RÉPONSE ÉTATIQUE AU PHÉNOMÈNE

Face à cette situation, l’Etat est appelé a joué sa partition. Les passeurs n’ont pas abandonné. C’est la surveillance renforcée au niveau des frontières qui les obligent à reculer et changer de méthode. Mais, pour éradiquer ce phénomène, il faudrait nécessairement des alternatives claires chez les jeunes candidats à l’immigration irrégulière. Pour Badara Gning, agent à la Direction des Sénégalais de l’extérieur, l’Etat est train d’assurer pleinement cette alternative qui lui incombe. « Nous avons un grand projet au niveau de la Direction des Sénégalais de l’extérieur, sous la coupole de l’Union européenne, sous l’égide de la coopération Lietzi (espagnol). C’est un projet qui s’élève à 12 milliards de F CFA (7 millions d’euros). Ce budget est destiné exclusivement aux migrants de retour et aux potentiels migrants. L’objectif est de fixer les migrants dans leur localité d’origine afin qu’ils restent surLE territoire national et d’exploiter tout ce qui y est comme potentialité. C’est une manière de lutter contre l’immigration irrégulière », déclare Nging.

Dans le cadre de la mise en œuvre de ce projet, une tournée nationale avait été initiée par la Direction. Dans toutes les 14 régions du Sénégal, des Bureaux d’accueil et d’orientation et de suivis des Sénégalais de l’extérieur ont été installés.

À Saint Louis, plus particulièrement à Guêt Ndar, les pêcheurs, principaux candidats à l’immigration irrégulière, n’ont pas bénéficié des retombés de ce projet. S’il en est ainsi, c’est parce que l’exécution du projet tarde du fait des lenteurs administratives. « Il faut impérativement un programme d’action bien conçu. Ce programme existe. Mais, les changements opérés au niveau de la Direction font que le document n’est pas stabilisé », reconnait Badara Gning.

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