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« Je n’avais jamais vu ça » : nos Observateurs racontent les inondations sans précédent en Afrique de l’Ouest

Depuis plusieurs semaines, des précipitations diluviennes s’abattent en Afrique de l’Ouest et dans la région du Sahel, entraînant des inondations spectaculaires. Au Niger, au Sénégal et au Burkina Faso, des dizaines de personnes sont mortes et des centaines d’autres ont été déplacées, alors que la saison des pluies n’est pas encore terminée. Nos Observateurs témoignent d’un phénomène d’une ampleur exceptionnelle cette année.

Selon le Bureau de coordination humanitaire de l’ONU (Ocha), près de 760 000 personnes sont touchées par ces intempéries.

À Niamey (Niger) : « Les gens sont éprouvés, certains n’ont pas d’endroit où se reloger, pas d’assistance »

Au Niger, où les inondations ont été particulièrement dévastatrices, les autorités comptaient mardi 8 septembre au moins 65 morts et plus de 300 000 sinistrés, tandis que plusieurs quartiers de Niamey, la capitale, étaient toujours sous les eaux. Les inondations ont également détruit plus de 5 000 hectares de culture, notamment des rizières.

Sur place, notre Observateur Abdel Nasser Ali Hamani, dit Kountché Fandou, tente de mobiliser son réseau pour assister ceux qui ont tout perdu. Sur WhatsApp, cet habitant du 4e arrondissement gère un groupe d’entraide :

J’ai créé un groupe « Solidarité Sans Frontière » sur WhatsApp lors du Covid-19. Lors de ces inondations, nous nous sommes servis de ce groupe pour venir en aide aux sinistrés, et inciter les gens à mener des actions individuelles. Cela fait plus d’une semaine que le 5e arrondissement, notamment le quartier de Harobanda, connaît des inondations. Depuis avant-hier (lundi 7 septembre), c’est au tour du quartier de Saga, dans le 4e arrondissement.

L’eau s’est déversée partout et monte. Les gens sont éprouvés, certains n’ont pas d’endroit où se reloger, pas d’assistance. Dans la rue, dehors, les sinistrés sont avec leurs affaires et ne savent pas où aller. Il y a des déplacés qui ont été mis à l’abri dans des classes d’école mais ils sont parfois cinq familles au même endroit, sans couverture, sans nourriture.

Comme c’est l’anarchie, des gens en profitent pour voler les affaires des autres. Or, il faut qu’on s’entraide. Dans mon groupe WhatsApp, on lance des appels en faisant de petites vidéos et on explique que cela peut prendre cinq minutes d’aller déposer des habits à une famille dans le besoin. On a aussi lancé des collectes de dons, notamment auprès de la diaspora.

J’ai 38 ans et je n’avais jamais vu ça. En 2012, il y avait eu des inondations importantes, mais pas à ce point. Des quartiers rayés de la carte, c’est une première pour moi. Et rien n’a été prévu pour protéger les populations : il aurait fallu déguerpir des quartiers près du fleuve. Les gens sont épuisés et les actions ainsi que la sécurité manquent.

Interviewé sur RFI, Guillaume Favreau, hydrologue et représentant de l’Institut pour la recherche et le développement au Niger, confirme que la situation est exceptionnelle. Si l’intensification des précipitations constatée dans toute l’Afrique de l’Ouest fait partie des facteurs, il cite également des problématiques locales dont notamment l’érosion importante des sols et le déboisement.

Les 5 et 6 septembre, le Sénégal a également essuyé des précipitations d’une intensité inhabituelle. Au moins six personnes sont mortes selon un bilan officiel. Très critiqué, le président sénégalais Macky Sall a annoncé mardi 8 septembre un plan de 10 milliards de francs CFA (plus de 15 millions d’euros) pour faire face aux inondations.

En banlieue de Dakar (Sénégal) : « Comme on ne peut pas évacuer l’eau, elle stagne et son odeur devient nauséabonde »

Dans la région de Dakar, c’est principalement le quartier Keur Massar, en banlieue de la capitale, qui a été touché.

Elhadji Daouda Mbaye, délégué du quartier « unité 3 » dans la commune de Keur Massar a interpellé notre rédaction en envoyant une vidéo prise depuis chez lui et montrant les sapeurs-pompiers évacuer des habitants sur un zodiac (voir ci-dessus). Il ne cache pas sa colère :

Nous connaissons des inondations depuis 2012. Chaque année, elles s’amplifient. Le problème, c’est que nous n’avons pas de système de canalisations. Il y a de plus en plus d’habitations mais aucune infrastructure. Pourtant, je n’habite pas dans un quartier dit « flottant », c’est-à-dire d’habitations informelles. Non, « l’unité 3 » ce sont des parcelles qui ont été vendues par un promoteur, ce sont des parcelles légales.

En 2005, des inondations avaient rendu inhabitables des banlieues de Dakar et le président sénégalais de l’époque, Abdoulaye Wade, avait alors mis en place le plan « Jaxaay » – qui veut dire l’oiseau qui vole très haut – pour que les populations soient installées sur des sites élevés et non plus dans des bas-fonds. Or, notre quartier se trouve dans un bas-fond et c’est un réceptacle pour les eaux qui coulent depuis d’autres quartiers plus hauts.

Un système de pompage temporaire avait été mis en place, mais l’année dernière déjà il avait montré des signes de faiblesse. Il devait être rénové cette année, or ça n’a pas été fait. Ce n’est qu’après les premières inondations de la saison qu’ils ont commencé à refaire les conduites, mais cela nous a fait perdre beaucoup de temps.

Comme on ne peut pas évacuer l’eau, elle stagne et son odeur devient nauséabonde. J’ai fait déménager toute ma famille au premier étage, le rez-de-chaussée n’est pas habitable.

Le zodiac que l’on voit sur cette vidéo permet de faire des évacuations sanitaires, surtout pour les femmes enceintes. Des jeunes très déterminés ont décidé d’aider leurs voisins et notamment les personnes âgées à monter des affaires au premier étage par exemple. Il y a un élan de solidarité extraordinaire. Les autorités ont maintenant déclenché le plan ORSEC d’organisation des secours, donc des moyens devraient suivre. Mais il nous faut surtout des canalisations.

À Saint-Louis (Sénégal) : « Certaines maisons restent pendant 3 mois, tout au long de l’hivernage, avec de l’eau »

Dans la ville de Saint-Louis, sur la côte nord-ouest du Sénégal, un artiste plasticien, Samba Sarr, a alerté sur les réseaux sociaux à propos des inondations en allant peindre un tableau les pieds dans l’eau, en plein milieu d’une rue. Il témoigne :

J’habite dans le quartier Diaminare depuis 1980. Le quartier a toujours souffert d’inondations et il n’y a jamais eu d’assainissement. Cette dernière inondation est assez rare : ces trois dernières années, ça n’avait pas eu cette ampleur. Ici, la commune donne parfois de petites motopompes pour faire évacuer l’eau. Mais parfois, certaines maisons restent pendant trois mois, tout au long de l’hivernage, avec de l’eau et les habitants sont contraints d’aller vivre ailleurs pendant ce temps-là. C’est une période pendant laquelle les jeunes du quartier n’ont plus de temps ni pour les loisirs, ni pour les vacances : ils se mobilisent et sortent l’eau des maisons. Plus jeune, je l’ai moi-même fait. Aujourd’hui, on veut être entendus et faire comprendre que ces quartiers ont vraiment besoin d’aide.

À Ouagadougou (Burkina Faso) : « Il y a des pluies à répétition, ça ne s’arrête pas »

Au Burkina Faso, l’agence nationale de la météorologie avait annoncé des pluies abondantes. Plusieurs quartiers de la capitale, Ouagadougou, font face à un niveau d’eau important et au moins 13 personnes sont mortes.

Idriss Kaboré, un habitant de Ouagadougou, a envoyé à notre rédaction des photos prises aux alentours de son quartier, Tampouy. Il explique :

Cela fait presque neuf jours qu’il pleut. Hier, mercredi 9 septembre, ça s’est un peu arrêté. Les pluies ont causé des inondations dans plusieurs quartiers, dont le mien. Cela est parfois dû au manque de caniveaux. Dans les endroits où il y a des caniveaux, le problème est qu’ils sont bouchés par des ordures. En 2009, il y avait eu des inondations importantes après une forte pluie. Mais là, il y a des pluies à répétition, ça ne s’arrête pas.

Les dégâts matériels sont importants et il y a des gens qui n’ont plus où habiter. Certaines routes sont difficiles à pratiquer, surtout dans les quartiers périphériques. On est parfois obligé de faire un détour pour éviter certaines rues. Heureusement, en ville, les routes goudronnées sont praticables.

Ces pluies torrentielles ont également touché d’autres pays du continent, comme le Ghana et le Nigeria, ainsi que le Tchad et le Cameroun plus à l’est. Au Soudan aussi, la situation est alarmante. Entre les crues du Nil à l’est et les fortes pluies à l’ouest, les habitants ont été pris au piège fin juillet. Les autorités locales ont imposé un état d’urgence de trois mois et mobilisé l’armée, alors que la montée des eaux a déjà tué une centaine de personnes, détruit plus de 100 000 maisons et fait plus d’un demi-million de déplacés.

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